Thèse CIFRE : retour d'expérience...

... même si elle ne fait que commencer !

Le doctorat est le plus élevé des quatre grades universitaires. Il est accessible après l'obtention d'un Master (Professionnel ou Recherche). Un diplôme d'une Grande Ecole d'ingénieurs ou de commerce correspond généralement à un Master Professionnel : on entend parfois en Ecole qu'il faut faire un Master Recherche (ou ex-Dea) avant de candidater à une thèse, c'est faux !

Transformation path

Motivations

Vouloir s'engager dans une thèse, une démarche de recherche d'au moins 3 ans nécessitant un travail personnel important, n'est pas à prendre à la légère. Il n'est pas rare de voir des candidats abandonner en cours de thèse, pour des raisons diverses. Je vous invite donc à mûrement sous-peser vos envies avec les implications que cette décision aura sur votre vie personnelle !

Motivation

Personnellement, étant issu d'une Grande Ecole d'ingénieurs où sont traditionnellement enseignées des matières très diverses sur un faible nombre d'heures dans le cadre d'un "tronc commun" long (2 ans dans le cas de Centrale Lille), j'ai été frustré de constater, après 5 ans d'études supérieures, que je n'étais expert en rien. La faute n'en revient pas à mon école qui forme des "ingénieurs-managers" capables de comprendre grossièrement et rapidement de nombreux problèmes techniques : pour certains, les résoudre, pour d'autres, gérer les techniciens qui le feront. Premièrement, ce modèle m'a semblé désuet en dehors des sciences de l'ingénieur comme la mécanique ou le génie électrique pour lesquels ce format semble toujours fonctionner. En revanche, dans l'informatique au sens large, de l'architecture des SI jusqu'au développeur en passant par le data scientist, ce profil semble inutile : le management est inaccessible avant une petite dizaine d'années d'expérience et les "meilleurs" sont, de manière légitime, les plus forts techniquement, i.e. ceux qui produisent le plus, ce qui, malheureusement, ne s'appliquait pas particulièrement bien à moi jusqu'à présent. Ma vision de mon domaine d'activité a été l'une des principales raisons de mon choix de chercher une thèse.

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La deuxième raison m'ayant poussé dans cette démarche a été ma perception du monde de l'entreprise. J'ai effectué mon deuxième stage de mon cursus centralien (en 2e année) chez APRR, grand groupe concessionnaire autoroutier, filiale du groupe Eiffage. J'y ai fait pendant 5 mois des modestes modèles mathématiques de calcul du trafic journalier. Bien que ce fut très enrichissant car en quelque sorte une première expérience de la démarche de recherche, je compris rapidement que la plupart des compétences développées dans un grand groupe tel qu'APRR sur un poste "classique", par opposition à celui de stagiaire que j'occupais, étaient strictement limitées au cadre même de l'entreprise. Comprenez : on travaille sur quelque chose de tellement précis et spécifique à l'entreprise en question qu'il est difficile de revendre ces compétences si l'on souhaite changer d'entreprise. Pire, cela m'a donné le sentiment qu'un tel travail était en partie futile en ce que tout ce qu'on y apprend n'existe (et n'a d'intérêt) qu'au sein de cette organisation. J'en ai fait la douloureuse expérience une seconde fois lors de ma dernière année de cursus : j'étais en alternance chez BNP Personal Finance, la filiale de la banque s'occupant des prêts à la consommation dont la filiale la plus connue est Cetelem. J'étais rattaché à l'équipe d'analyse des indicateurs Bâle II. Il s'agit de normes imposées par le régulateur bancaire européen visant à garantir un niveau de provisions et de fonds propres suffisant pour qu'une crise, c'est-à-dire, dans le cas du crédit à la consommation, un défaut massif des clients, n'entraîne pas la faillite de l'institution financière. Comme la plupart des instances de ce type, la politique et les lobbies s'en mêlent (je vous invite à lire sur un tout autre sujet l'excellent livre Climat Investigation de Philippe Verdier) rendant ces mesures au mieux inapplicables en totalité, au pire inefficaces. Les réglementations de Bâle I et II n'ont d'ailleurs pas empêchés les banques d'être durement touchées par la récente crise financière... Bien que ce poste ne corresponde pas exactement à la remarque que je me faisais chez APRR sur le caractère strictement interne des compétences développées, la demande en jeunes diplômés connaissant ces réglementations étant très élevée, ce métier est en grande partie dénué de sens. Prenez quelques banquiers politisés, ils vous écriront une réglementation dont la rigueur mathématique est discutable. Imposez-la à toutes les banques. Cela a suffi pour leur faire embaucher des open-space bourrés à craquer de chargés d'études statistiques ayant pour mission, à grands coups de SAS, Excel et PowerPoint, de calculer puis d'expliquer des indicateurs qui n'ont aucun sens (ceux-là mêmes qui ont été définis grossièrement par un "comité d'expert"). En résumé, j'ai compris que ce qui me manquait dans ma formation et que j'ai évoqué dans la première partie, la capacité technique "universelle", c'est-à-dire directement transposable d'une organisation à l'autre, très peu d'entreprises pouvaient me l'offrir.

pipotronic

Le choix d'une thèse CIFRE plutôt qu'une thèse académique "classique" s'est paradoxalement rapidement imposé à moi (elles sont rares par rapport aux thèses académiques). J'étais fâché avec certains métiers des deux grandes entreprises où j'ai pu travailler mais je n'étais pas foncièrement fâché avec l'entreprise en général. Il y a d'ailleurs deux arguments de taille pour privilégier une thèse CIFRE à une thèse académique : premièrement, le salaire peut être nettement plus important. Deuxièmement, pour ceux qui souhaitent rester dans le monde de l'entreprise suite à la thèse, ce qui est mon cas et qui devrait être le cas pour tous les thésards CIFRE, une telle thèse est plus facilement revalorisable comme une réelle expérience professionnelle. En effet, les places de chargé de recherche et de maître de conférence se faisant si rare proportionnellement au nombre de thèses que celles-ci sont plus ou moins réservées aux "meilleures" thèses académiques. A l'inverse, une thèse académique peut être considérée "seulement" comme un diplôme supplémentaire par les RH d'une entreprise alors qu'une thèse CIFRE permet d'y ajouter l'aspect professionnalisant.

Job after PhD

Recherche de thèse CIFRE

Dès janvier 2015, je me suis donc mis en quête d'une thèse CIFRE. Parcours long et périlleux, semé d'embûches ! Je vous raconte mon parcours et détaille quelques conseils pour éviter les écueils que j'ai pus rencontrer. Vous pourrez retrouver toutes les informations relatives aux thèses CIFRE ainsi que quelques offres sur le site de l'ANRT. Malheureusement, rares sont encore les entreprises qui connaissent ce dispositif ; à l'inverse certaines entreprises en sont très friantes et en emploient des dizaines par an comme EDF, RTE, Renault, ... Votre première ressource est donc Internet ! En premier lieu, il faut consulter les offres sur le site de l'ANRT, puisque ces sujets sont déjà relativement bien cadrés et ont de bonnes chances d'aboutir. Aucune offre ne correspondait à ma recherche mais vous pourriez avoir cette chance ! En second lieu, je vous conseille de vous inscrire dans la section "Proposition de candidature". Même si cette section est bien plus fournie en candidats que la section "Offres entreprises" n'a de postes à offrir, ça ne coûte rien de s'y inscrire d'autant plus que certaines entreprises recherchent un thésard CIFRE mais ne déposent pas d'annonce sur le site de l'ANRT ; elles vont parfois directement dans la section Candidats. Ce fut le cas pour une proposition de thèse CIFRE que j'ai eue par la suite.

ANRT

La deuxième ressource à ne pas négliger dans cette recherche, c'est votre réseau. En effet, vous êtes probablement engagé(e) ou avez été engagé(e) dans un Master du domaine pour lequel vous recherchez une thèse CIFRE. Vos professeurs sont donc également chercheurs et affiliés à un laboratoire de recherche. Eux-mêmes ou leurs collègues recherchent très certainement des thésards. Dans la plupart des cas, il s'agira de thèses académiques, mais contrairement à ce que vous pensez peut-être, les laboratoires ont dans certains cas de nombreux contacts dans le monde de l'entreprise à travers des anciens élèves mais aussi des contrats de collaboration avec des entreprises. En parlant à mon responsable d'option de Centrale Lille de ce projet, il m'a redirigé vers l'un de ses collègues qui cherchait un candidat pour une thèse CIFRE qui lui avait été proposée par l'un de ses anciens élèves aujourd'hui directeur d'une unité de Crédit Agricole Consumer Finance. C'est ainsi que j'ai obtenu la thèse CIFRE que je fais actuellement.

Network

La dernière ressource potentielle que je vois est la candidature spontanée. En effet, dans la mesure où ce que vous recherchez est très spécifique et rare, n'espérez pas que l'opportunité idéale vous tombe dessus ! C'est ainsi que j'ai sélectionné les entreprises qui m'intéressaient et qui pouvaient être susceptibles d'être intéressées par un thésard CIFRE. J'ai ensuite envoyé un mail de candidature spontanée personnalisé à chacune d'entre elles. C'est la méthode la moins rentable puisque vous enverrez potentiellement des dizaines de mails pour aucune réponse ! J'ai ainsi récupéré un contact, qui s'est par la suite transformé en deux entretiens mais ce projet n'a pas abouti comme nous le verrons plus tard.

Koala

Les entretiens

J'avais donc 3 pistes pour effectuer une thèse CIFRE :
  • Crédit Agricole Consumer Finance, grâce à un contact de mon réseau,
  • Schelcher Prince Gestion, grâce à mon dépôt de candidature sur le site de l'ANRT,
  • Nexialog Consulting, grâce à une candidature spontanée et une connaissance de mon réseau professionnelle.

Concernant les entretiens, là encore, la spécificité de la thèse CIFRE rend les choses complexes. Pour chacune de ces trois opportunités, j'ai eu au moins deux entretiens parmi les trois qui me semblaient possibles : l'entretien RH, l'entretien métier, et l'entretien technique. Ils sont arrivés dans différents ordres selon les opportunités. Pour Crédit Agricole, qui avait plus ou moins délégué le recrutement du thésard à mon directeur de thèse, j'ai d'abord eu des entretiens "techniques", i.e. ici j'ai rencontré séparément l'un de mes co-encadrants et mon futur directeur de thèse. J'ai ensuite vu mon futur-ex encadrant "métier", c'est-à-dire mon responsable au sein du Crédit Agricole, puis enfin l'entretien RH. Dans le cas de Schelcher Prince Gestion, j'ai rencontré en premier lieu mes potentiels encadrants "métier" qui n'avaient à l'époque pas encore d'idée précise de leur partenaire académique souhaité. Une fois celui-ci choisi, c'est-à-dire le potentiel directeur de thèse, je l'ai rencontré et ai eu droit à l'entretien technique. Chez Nexialog Consulting, j'étais venu pour un entretien RH qui a finalement été précédé d'un entretien métier (cela dit, il contenait de nombreuses questions techniques !).

Bien entendu, certains entretiens se sont mieux passés que d'autres, et le fait que je travaillais déjà dans le même secteur d'activité à la BNP a bien aidé pour mes entretiens au Crédit Agricole. C'est sans doute l'une des raisons qui m'ont permis d'être choisi par le Crédit Agricole. Par ailleurs, Schelcher Prince Gestion a beaucoup temporisé sa réponse, ce que je ne pouvais pas me permettre, les procédures de mise en place de CIFRE étant longs comme on le verra plus tard. De même Nexialog Consulting n'a pas donné suite et je n'ai pas insisté outre mesure : aucun sujet de thèse n'avait encore été imaginé, cela avait donc de grandes chances de ne pas aboutir.

J'ai principalement deux conseils à formuler dans cette partie. Premièrement, comme pour toute opportunité de job, stage, plan cul, il vous faudra justifier avec beaucoup d'ardeur pourquoi vous souhaitez "sauter" sur cette opportunité et ce qui fait de vous le candidat idéal. Demandez impérativement en retour ce que cette opportunité pourra vous apporter, i.e. dans le cas de la thèse CIFRE, quelles compétences de votre domaine seront le plus développées à travers le sujet de thèse, quel cadre (favorable) l'entreprise vous propose-t-elle pour la réalisation de votre thèse, ... Deuxièmement, les entreprises profitant du système de subvention de l'ANRT pour les thèses CIFRE ne sont pas rares. Dans ces cas, le thésard est amené à effectuer un travail d'ingénieur spécifique à l'entreprise d'accueil qui ne lui accorde que les 1 ou 2 jours passé(s) par le thésard dans son laboratoire d'accueil pour effectuer sa thèse. L'entreprise s'est ainsi dotée d'un ingénieur à temps partiel quasiment gratuitement (selon les dispositions financières du contrat de collaboration). Il est donc important que vos conditions de travail soient claires dès le départ. Fuyez également les entreprises intéressées par votre profil mais qui n'ont pas encore de sujet abouti.

Interview

Démarches administratives complexes

Une thèse CIFRE peut être vue comme une collaboration entre 5 acteurs :
  • le thésard,
  • l'entreprise d'accueil,
  • le laboratoire d'accueil,
  • l'université (délivrant le diplôme de Docteur),
  • l'ANRT.

Ces différents acteurs vont donc contractualiser cette collaboration entre eux. Cette contractualisation me paraît extrêmement complexe et bien qu'on puisse trouver la plupart des informations sur Internet, il convient de remettre certaines choses à plat. La Convention CIFRE, le document le plus important de cette collaboration, est envoyée après accord de l'ANRT à trois signataires : le thésard, l'entreprise d'accueil et le laboratoire d'accueil. Le thésard est un salarié de l'entreprise d'accueil, par conséquent, cette relation est contractualisée par un contrat de travail, i.e. soit un CDD de 3 ans couvrant la période décrite dans la Convention CIFRE ou un CDI. L'entreprise d'accueil et le laboratoire d'accueil contractualisent également leur relation à travers un contrat de collaboration. En effet, le laboratoire met à disposition un (ou plusieurs) directeur(s) de thèse et un (ou plusieurs) co-encadrant(s) ainsi que des infrastructures au thésard salarié de l'entreprise. Une participation financière est donc demandée à l'entreprise. Enfin, le thésard s'inscrit, pour chaque année universitaire couverte par la Convention CIFRE, en doctorat à son université de rattachement. Généralement, cette inscription est elle-même conditionnée par plusieurs documents préalables, émanant de l'école doctorale de l'université et/ou du laboratoire d'accueil.

paperwork

En premier lieu bien sûr, il vous faudra constituer un dossier de demande de Convention CIFRE. Cette demande peut être effectuée par le thésard, l'entreprise ou le directeur de thèse. Dans mon cas, mon directeur de thèse s'en est chargé ; cela renforce la légitimité du sujet et sa pertinence scientifique. Comptez 2 à 3 mois après que le dossier est envoyé complet à l'ANRT pour obtenir une réponse. Généralement, celle-ci est binaire : oui/non. Notre première demande fut rejetée, sans que nous sachions de manière extensive pourquoi la demande avait été rejetée. Notre deuxième demande a été acceptée après qu'un membre du comité scientifique chargé d'évaluer la pertinence des demandes nous a demandé de justifier/préciser certains éléments du dossier. Là encore, comptez 1 à 2 mois entre la réception de la réponse positive du dossier et le début effectif de la thèse, la Convention CIFRE envoyée en cas de réponse positive précisant la date "minimale" incompressible à partir de laquelle la CIFRE peut débuter. Viennent ensuite en parallèle le contrat de travail, le contrat de collaboration, et l'inscription en école doctorale.

En conclusion, les obstacles administratifs à la réalisation d'une CIFRE sont relativement nombreux (mais permettent de limiter les abus). Ce cycle long doit vous alerter sur la nécessité d'anticiper un maximum vos démarches de recherche de thèse CIFRE.

Droits du thésard

Frais d'inscription en doctorat

Sauf mention explicite dans le contrat de collaboration entre le laboratoire d'accueil et l'entreprise, le règlement des frais d'inscription sont à la charge du thésard. Cela représente un coût non négligeable d'environ 400 € par année universitaire couverte par la Convention, soit 3 à 4 inscriptions. J'ai la chance d'avoir été remboursé de ces frais par mon entreprise d'accueil (qui n'était aucunement tenu de l'effectuer) comme 70 % des thésards CIFRE d'après l'ADCIFRESHS. Il est conseillé d'en parler au plus tôt à l'entreprise d'accueil.

Frais liés aux conférences/colloques/workshops...

Ici également, la question se pose pour l'entreprise de vous payer des déplacements qu'elle n'aurait pas à payer pour un salarié lambda. Encore une fois, la réponse doit se trouver dans le contrat de collaboration avec le laboratoire d'accueil puisque c'est cette structure qui va vous encourager à participer à ce genre d'évènements.

Prime de précarité

Dans le cas où vous seriez en CDD de 3 ans, la prime de précarité est dûe par l'employeur dans les mêmes conditions que pour un autre salarié en CDD : l'employé a accepté/refusé (poste équivalent) un CDI dans l'entreprise notamment. Certaines entreprises n'auraient pas versé cette indemnité par le passé pour différentes raisons (la prime n'est semble-t-il pas dûe dans certains cas d'apprentissage). Sur Internet, on trouve comme bien souvent tout et son contraire mais la (double) décision de justice à l'encontre de Renault semble faire jurisprudence. Ne vous laissez pas faire !

Pour plus d'informations, n'hésitez pas à me contacter ! Bonne chance dans vos démarches !

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